lundi 17 septembre 2007

Une claque

Après une reprise en trombe du boulot, je me pause enfin pour revenir sur ce voyage.
Ce qui était vraiment top c’était de partir avec mes quatre potes. D’ailleurs c’est surtout des photos d’elles que j’ai gardé.
Mais sinon, concernant la Serbie, j’ai pris quand même un peu une claque. Je dois dire qu’avant de partir, on n’avait pas trop réfléchi à la guerre qu’il y avait eu là-bas. Bien sûr je savais en gros que les Serbes avaient attaqué leurs voisins, qu’ils se battaient tous entre communautés, que Milosevic avait été inculpé par le tribunal pénal international pour crimes contre l’humanité (qu’il aurait été jugé s’il ne s’était pas suicidé en prison), qu’un ou deux généraux étaient encore en fuite (l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, et son chef militaire Ratko Mladic), qu’il y avait eu des charniers, des maisons brûlées, des villageoises violées, qu’il y avait des chrétiens et des musulmans, mais je savais pas trop lesquels étaient quoi. Bref, j’avais une idée vague et je ne voulais surtout pas juger ni avoir d’opinion. Pour moi la Serbie, c’était les Balkans de Nicolas Bouvier (son livre l’Usage du monde), la musique tzigane, les films d’Eric Kusturica et la musique de Goran Bregovic et je m’en tenais là.
Mais finalement quand on arrive sur place, on se rend compte qu’on ne peut pas rester totalement indifférent à ces questions là. D’abord, ça se voit que c’est un pays qui a connu quelque chose de pas normal. Ce qui m’a frappé c’est que les maisons des agriculteurs, dans les campagnes, ne sont pas belles. Elles sont fonctionnelles, parfois cossues, parfois proprettes, mais elles n’ont aucun charme. Comme si il n’y avait plus rien de traditionnel. S’il y a jamais eu des maisons en bois ou au toit de chaume, ou des décorations traditionnelles, elles ont été détruites, ou leur art s’est perdu, ou oublié. Etait-ce parce qu’il pleuvait et que le ciel était gris? Les campagnes m’ont paru tristes. C’est peut-être tout simplement l’effet d’une agriculture déjà plus industrielle qu’en Roumanie, sa voisine. Mais pourtant les champs étaient bien découpés en petites parcelles. Alors qu’en Roumanie, on croise des paysans, des villageois, des bûcherons, des amoureux, des auto-stoppeurs le long des routes, en Serbie on ne croise personne. C’est peut-être aussi l’effet des friches industrielles. Est-ce depuis l’abandon du communisme ou depuis la guerre, que ces usines de campagne ont été abandonnées, ces bâtiments commerciaux vidés, ces constructions laissées en chantier? Bien sûr le passé communiste du pays a laissé des souvenirs, comme cet affreux hôtel hexagonal en béton à Novi Pazar, qui ressemble à une soucoupe volante intubée, version cubiste. Mais ailleurs aussi, dans tout le bloc de l’Est, il y a des immeubles communistes. Et pourtant ce n’est pas si triste.
Ce que je dis, ça ne vaut pas pour Belgrade, qui fait exception. Je parle surtout de la Serbie centrale, Kraljevo, Uzice, Kraguljevac…J’ai l’impression qu’ils ont bien pris là-bas. Pris en souffrance sans doute, mais aussi en connerie.
Je m’explique. Ça pourrait être un beau pays, la Serbie centrale. Il y a des montagnes, des vallées, des cours d’eau, des gorges et tout est vert. Mais ça ne fonctionne pas. Le
festival de Guca se déroule au cœur de la Serbie, dans un village enclavé derrière une chaîne de montagnettes assez costaudes quand même. Et là, tout est lourdeur. Les gens sont lourds. Il viennent pour se bourrer la gueule à la bière, ils mangent des hamburgers ruisselant d’huile, ils ne connaissent rien, mais rien de chez rien, à la musique. Les rues sont tapissées de stands qui diffusent des tubes de fanfares sur cd. Ce sont toujours les mêmes chansons qui passent : ederlezi et une chanson reprise aux cuivres d’un tube espagnol qui a fait fureur il y a deux ans. Et pour ces hamburgers dégoulinants et ces deux tubes de merde, des milliers et des milliers de gens se pressent dans la rue, alors qu’il n’y a rien d’intéressant à voir ni à écouter. Les concours de fanfares en live sont rares et quasiment inaccessibles et ils n’intéressent pas la jeunesse serbe, celle au crâne rasé, aux képis verts et aux vestes militaires qui danse et se soûle toute la journée. Dans les concerts, ils brandissent des drapeaux serbes et crient des hymnes qu’on ne comprend pas, où il est parfois question de « Kosovo ». Ils ont l’alcool gai, ils ne sont pas méchants, ils sont même hyper amicaux. On pourrait même se dire que l’ambiance est la même que dans n’importe quel technival ou festival pour jeunes, plein de tentes, de hot dog et d’anars. En fait je n’ai pas fait de festival comme ça en France, donc difficile de comparer. En tout cas, ça donne seulement envie de se casser.Mais quand on quitte Guca pour se réfugier dans les villages perdus et discuter avec les habitants, les discours qu’on entend vous glacent le sang. « Vous serez bien ici, pas de noirs, pas d’albanais, pas de musulmans, pas de kosovars, pas de cafés au lait ». On se casse pour aller ailleurs et là on entend « La France ! vive Le Pen, vive Sarkozy ! ». On discute et on nous explique que tout est la faute des Ottomans qui ont envahi le pays il y a des siècles, on nous parle de batailles perdues et de trahisons qui remontent au début du XXe siècle, on nous recommande d’éviter le Monténégro (qui a obtenu son indépendance de la Serbie il y a un an) parce qu’il serait infesté de voleurs. Et là, moi, ça me donne envie de les laisser crever dans leur montagne, tous ces cons qui vivent en Serbie centrale.
Bien sûr, ce qui ressort aussi, c’est qu’ils se sentent abandonnés et délaissés, dégoûtés par la politique de leur pays. Ils accueillent les étrangers avec bonheur, les bras ouverts, prêts à beaucoup donner, en particulier de leur temps, parce que personne ne vient jamais les voir. J’en conclue donc qu’au lieu de les laisser moisir comme des vieilles poires pourries il faut d’autant plus aller les voir et c’est ce que je conseille à tous, mais dans ce cas, en commençant plutôt par Belgrade. Car Belgrade, ça n’a rien à voir avec tout ce que je viens de dire. J’avais prévenu tout le monde que ce serait la pire étape de notre voyage et, pour moi en tout cas, ça a été la meilleure. Mais comme il est déjà tard, je vous raconterai ça une autre fois.

Aucun commentaire: